par Comité Valmy, mercredi 10 octobre 2012
Gorbatchev et Cie : La plus grande trahison de l’Histoire
LE FACTEUR DE TRAHISON — Alexandre Zinoviev
Nous publions pour réflexion, cette analyse de Zinoviev concernant la trahison des élites en Union Soviétique, en particulier parce que en France aussi, nous vivons les conséquences d’une trahison nationale et républicaine, au niveau de l’Etat comme à la tête de certains partis politiques. Dans les deux cas le chef d’orchestre était et aujourd’hui encore, demeure le même. Fleurus.
LE FACTEUR DE TRAHISON
L’un des facteurs les plus importants qui ont causé la faillite du communisme soviétique (russe) a été le facteur de trahison. Et c’est sans doute la première fois dans l’histoire de l’humanité que ce facteur non seulement a été pris en compte par ceux qui ont dirigé la destruction du communisme russe, mais qu’il a été planifié longtemps à l’avance et mis en oeuvre à une échelle énorme comme un facteur du processus évolutionnel. A ce titre il mérite notre attention comme l’une des caractéristiques de l’histoire programmée et dirigée.
LE CONCEPT DE TRAHISON
On pourrait croire apparemment que tout le monde sait ce qu’est la trahison. On pourrait croire que la nature de la trahison est évidente. Mais elle n’est évidente que dans les cas lesplus simples et les plus ordinaires. Un homme est devenu l’espion d’un autre pays :
c’est un traître. Il est passé dans la guerre du côté des ennemis : c’est un traître. Mais même dans ces cas-là il arrive que les critères d’appréciation soient mal définis ou soient fréquemment transgressés. Par exemple, dans la lutte idéologique contre le stalinisme, on transforme un traître, le général Vlassov, en héros. Et les représentants avérés de la « cinquième colonne » de l’Occident en Union Soviétique et en Russie vivent en toute impunité sur la terre russe et même prospèrent, entrent dans les couches supérieures de la société russe et parviennent au plus haut sommet de l’Etat.
Et il n’y a plus aucune évidence qui tienne quand il s’agit de groupes humains, de collectivités humaines importantes et de peuples entiers et aussi quand entre en jeu le comportement des gens, un comportement qui se compose d’un grand nombre de manières d’être, de penser et d’agir dans des conditions complexeset changeantes. De plus, si le caractère des actes et des attitudes des gens change avec le temps, les critères d’appréciation changent aussi en la matière. En ce qui concerne l’évolution de la trahison, l’humanité a parcouru un long chemin depuis les formes primitives et évidentes de la trahison individuelle jusqu’aux formes collectives, subtiles et secrètes.
Et il faut prendre tout cela en compte pour définir le concept scientifique de ce phénomène Il faut distinguer l’approche juridique et morale et l’approche sociologique du problème de la trahison. La première est suffisante pour juger les actes individuels dans les situations simples.
La seconde est nécessaire pour la compréhension scientifique du comportement des pluralités humaines, des masses et des collectivités dans les processus historiques complexes. Ce dernier cas correspond exactement à ce qui s’est passé en Union Soviétique au cours des années où s’est préparé et réalisé le renversement contrerévolutionnaire jusqu’à la consolidation de ses résultats.
Le cas le plus simple de trahison est la relation entre deux personnes. Dans cette relation le destin d’un homme dépend de l’autre de façon cruciale. Le premier croit au second, il est sûr que celui-ci remplira ses obligations envers lui. Le second a des obligations précises envers le premier, il a conscience de ces obligations, il sait que le premier a confiance en lui et compte sur lui. Cette relation peut être scellée par un mot, une promesse, un serment, la tradition, l’habitude, l’opinion publique, les règles morales, les lois juridiques. Si le deuxième homme ne remplit pas ses obligations envers le premier, cela s’appelle une « trahison » : le second trahit lepremier.
Il y a des cas de trahison plus complexes, quand les partenaires de la relation, dont j’ai parlé, sont un homme et un groupe d’hommes, deux groupes d’hommes, des collectivités nombreuses, de grandes masses d’hommes, des peuples et des pays entiers. Par exemple, la relation entre le gouvernement et la population d’un pays, la relation entre les chefs d’un parti et les autres membres de ce parti ou entre un parti et la classe qu’il représente, etc. Il peut arriver qu’un individu, un groupe ou une collectivité en général se trahisse soi-même. Mais dans ce cas il se produit un dédoublement : l’homme ou le groupe est confronté à soi-même dans des situations diverses ou à des périodes éloignées de sa vie.
Par exemple, quelqu’un peut trahir ses principes de vie au profit d’autres buts ou il peut accomplir involontairement des actes qui le trahissent lui-même (à des périodes différentes desa vie ou dans d’autres situations). On peut aussi trouver un cas analogue dans l’autotrahison de certains groupes.
La trahison devient encore plus complexe si l’on prend en considération un troisième composant : l’ennemi (un individu, un groupe ou une entité plus importante), celui au profit de qui la trahison s accomplit, celui qui provoque la trahison, y prête la main, l’utilise. Un exemple classique de cette situation, c’est quand, dans deux pays en guerre, les citoyens de l’un trahissent leur pays au profit de l’ennemi.
On peut aborder la complexité de la trahison sous un troisième aspect, quand elle porte sur les participants à la trahison, sur la multiplication des actes qui, dans leur ensemble, constituent la trahison, sur la diversité de ces actes, sur leur étalement dans le temps, etc. On en trouve un exemple quand le gouvernement d’un pays mène une politique de trahison envers son propre pays au profit d’un pays ennemi. Parmi les actes de ce gouvernement traître il peut y en avoir qui, pris isolément, ne sont pas des actes caractérisés de trahison, mais qui, dans leur ensemble, constituent bel et bien une trahison.
Qui porte la responsabilité de la trahison ? Dans les cas les plus simples de trahisons individuelles, c’est évidemment l’individu qui a accompli la trahison.
Il n’est pas difficile, dans ces cas-là, d’appliquer des critères moraux et juridiques. Mais si ceux qui participent à cette situation sont des groupes humains importants ? Par exemple, quand une armée entière capitule comme cela s’est produit dans la guerre de 1941-45. Si le commandement ordonne de déposer les armes et si les soldats obéissent à cet ordre, ces soldats sont-ils ou non des traîtres ? Et comment juger l’attitude du commandement qui décide que la lutte est inutile ? Il y a des situations dans lesquelles les hommes ne sont pas en état d’accomplir leur serment. Dans ces cas il devient difficile de porter un jugement sur le comportement des gens. Et quand il s’agit d’un pays entier et de son gouvernement la situation devient immensément plus complexe. Dans ces cas on n’a pas de critères généraux d’appréciation. Ici, les normes morales et juridiques perdent, en pratique, leur sens.
On manque, dans ces cas-là, de critères d’appréciation fondés sur des normes unanimement reconnues et qui aient force de lois. On doit se référer à l’opinion publique, à des considérations politiques, aux traditions.
Il existe des trahisons conscientes et inconscientes, préméditées et non préméditées. Dans chaque trahison importante et complexe, où sont impliqués un grand nombre de gens et où entrent en jeu des actes divers et nombreux sur un long intervalle de temps, il convient de tenir compte du caractère prémédité ou non prémédité, conscient ou inconscient de ces actes.
De plus, il existe des modes et des degrés divers de conscience et d’inconscience, de préméditation et de non préméditation et des imbrications diverses entre ces modes et ces degrés. Tout cela rend extrêmement difficile l’appréciation du phénomène dans son entier, surtout si on manque de critères suffisamment rigoureux et si on n’a pas le désir de comprendre objectivement ce phénomène. La plupart des trahisons concernent des phénomènes de ce genre. On ne les juge pas comme des trahisons, on ne les punit pas ou on les punit faiblement et, de ce fait, ils ne tourmentent pas la conscience des traîtres. Et cela ne provient pas d’une chute de la moralité (encore que cela puisse avoir lieu) mais de l’apparition de certaines situations de la vie auxquelles il est impossible d’appliquer des normes juridiques et morales.
Pour juger le comportement des gens comme une trahison, il faut d’autres gens qui soient indépendants de ceux-ci et qui se placent au-dessus d’eux. Pour châtier des gens coupables de trahison il en faut d’autres qui aient la force d’exécuter et de justifier ce châtiment. S’il n’y a pas de juges et de justiciers de ce genre, la trahison ne pourra être ni publiquement démasquée ni punie. La trahison des gens puissants et haut placés reste souvent non reconnue et impunie en tant que telle.
LA PLUS GRANDE TRAHISON DE L’HISTOIRE
La trahison est un phénomène largement répandu aussi bien dans la vie individuelle des gens que dans les processus historiques. Elle est un facteur actif et constant de la vie humaine.
Le progrès de l’humanité est contradictoire. Dans cette sphère, il s’est manifesté non en faveur du dévouement, de la constance et de la fidélité, mais en faveur de la trahison, de l’infidélité et du reniement. Et on doit considérer comme le sommet du progrès de l’humanité sous ce rapport la trahison qui s’est produite en Union Soviétique et en Russie avec l’arrivée au pouvoir de Gorbatchev et avec la contre-révolution personnifiée par Eltsine, qui s’est accomplie dans les années 1991-1993.
Je rappelle que j’emploie le mot « trahison » dans le sens sociologique, en tant que concept scientifique. On pourrait demander pourquoi on n’emploie pas ici un autre mot, puisque le mot « trahison » est chargé d’un sens juridico-moral. Pourtant, j’insiste pour garder ce mot, dans la mesure où le concept scientifique, dans le cas donné, constitue l’explication (explicite et précise) de l’usage intuitif du mot.
Ce mot contient un fond sémantique juridico-moral. Il suffit de rappeler le comportement de la direction du Parti et de l’Etat du pays, avec Gorbatchev et Eltsine à sa tête, des travailleurs de l’appareil du parti et des millions de membres du parti, qui avaient juré fidélité au parti, au pays, aux idéaux du communisme, etc. mais qui ont trahi leur serment et ont détruit l’ordre social soviétique, le système soviétique du pouvoir, du parti, les idéaux du communisme, etc. sur l’ordre et sous les applaudissements des ennemis.
Et aucune argutie verbale ne pourra justifier cette trahison qui, de plus, répond au sens moral et aussi, pour une grande part, au sens juridique du mot. La trahison dont il s’agit est un enchevêtrement très complexe d’un nombre énorme d’actes divers d’une énorme quantité de gens.
De plus, elle est imbriquée dans un processus historique complexe de la vie du pays qui fait partie de la vie de l’humanité. Elle a une structure complexe et pluridimensionnelle. Elle a, en particulier, une structure hiérarchique « verticale » : la clique de Gorbatchev trahit la partie solide de la haute direction du parti, cette dernière trahit tout l’appareil du parti, l’appareil du parti trahit tout le parti et tout le système du pouvoir, tous trahissent la population, l’Union Soviétique trahit ses alliés du bloc soviétique, le bloc soviétique trahit cette partie de l’humanité, qui comptait sur son soutien.
On a donc affaire à une structure complexe. Evidemment, il ne faut pas étendre à cette épidémie sociale l’usage intuitif du mot. On a besoin de moyens spéciaux de connaissance, afin de dégager la spécificité de ce grandiose phénomène social et de l’analyser. Il faut pour cela procéder à une étude sociologique professionnelle.
Ce que je propose ici n’est que le premier pas, le premier repère, dans cette direction. La trahison envisagée ne découle aucunement des lois sociales du système social soviétique (du communisme réel), elle n’était ni conforme à quelques lois que ce fût, ni inévitable. Elle aurait pu ne pas se produire. Elle a été le résultat d’un concours unique de circonstances historiques.
Mais elle n’a pas eu lieu par hasard dans ce sens qu’elle a été préparée par tout le cours de l’histoire soviétique et par l’intention des maîtres du monde occidental de pousser une certaine partie du peuple soviétique à la trahison. Et cette intention a trouvé ici un terrain favorable.
Nous examinerons plus loin certains composants (mais pas tous) et certains jalons du processus de préparation de cette trahison fatale dans la période soviétique de l’histoire russe.
LA PÉRIODE STALINIENNE
Nous commencerons par l’orgie de dénonciations apparue pour la première fois dans les années trente. Une dénonciation n’est pas en soi une trahison. Mais dans des conditions déterminées elle devient une école et une forme (un moyen) de trahison. La dénonciation est un phénomène humain, en général, et non une particularité communiste et soviétique. La dénonciation a fleuri dans la Russie prérévolutionnaire, dans la France napoléonienne et dans l’Allemagne hitlérienne. A l’Occident elle est apparue comme un phénomène social en même temps que le christianisme (avec Judas !).
Dans l’histoire multiséculaire du christianisme ce phénomène a joué un rôle non moindre que dans l’histoire éphémère du communisme russe (rappelez-vous l’inquisition et l’usage de la confession !). Les dénonciations ont joué un rôle énorme dans l’histoire soviétique et les années trente et quarante ont été des années de véritable rage de dénonciations. Elles ont été l’un des moyens les plus importants de contrôledu pays.
L’attitude envers les dénonciations était double. D’un côté, on estimait que c’était un phénomène amoral. Dans la mesure où elles touchaient des personnes proches (les parents, les amis, les collègues, les camarades), on les assimilait à une trahison.
D’un autre côté, elles se propageaient artificiellement dans les masses sur des incitations venues d’en haut. En effet, on encourageait officiellement les dénonciateurs et on leur suggérait qu’ils accomplissaient un devoir sacré devant le pays, le peuple, le parti et les idéaux du communisme.
Et que les autorités l’aient voulu ou non, le fait est que le système de dénonciation massive est devenu une école de trahison organisée par l’Etat pour des millions de gens. La trahison sortait de la sphère des normes morales et juridiques.
Je veux attirer l’attention du lecteur sur le fait que dans cette orgie de dénonciations les principaux informateurs n’étaient pas les agents secrets des organes de sécurité de l’Etat (ils n’étaient pas tellement nombreux !) mais les enthousiastes bénévoles, qui confectionnaient d’innombrables dénonciations qu’ils adressaient aux organes du pouvoir ainsi qu’aux moyens d’information de masse et aussi des dénonciations ouvertes sous forme d’interventions dans toutes sortes de réunions et sous forme de publications (livres, articles), des dénonciations publiques. Le pays tout entier s’est transformé en arène de mouchardage. En outre, la trahison envers les amis, les parents, les camarades de travail, les collègues est devenue un élément habituel des dénonciations.
Le mouchardage, dont j’ai parlé plus haut, a été un phénomène de masse, mais il était pratiqué à titre individuel. Cette épidémie de trahisons individuelles s’est produite en même temps que les trahisons collectives. La vie des citoyens soviétiques était saturée de toutes sortes de réunions. Et dans ces réunions ce n’étaient que critiques et autocritiques : on y démasquait et y blâmait les insuffisances et leurs responsables, on prenait des décisions qui condamnaient les membres des collectifs, etc. Il est difficile maintenant de se représenter ce qui se passait dans les organes du pouvoir et de la direction, dans les organisations artistiques, dans les établissements d’enseignement, etc.. Les « pogroms » collectifs de collègues ôtaient la responsabilité de chaque membre de la communauté pris séparément.
La fidélité à la parole donnée et à l’amitié, l’honneur, la constance et d’autres qualités de toute personne correcte étaient devenues des phénomènes exceptionnels, difficiles à vivre et même dangereux.
Dans les cas de trahison collective les membres du collectif, pris séparément, ne passaient pas pour des traîtres et ne se considéraient pas comme tels. La responsabilité incombait à ceux qui dirigeaient le collectif. Et eux-mêmes ne l’assumaient pas puisqu’ils ne faisaient qu’exécuter les directives venues d’en haut.
A la lumière de ce qui s’est passé en Russie après 1985, il faut, selon moi, réviser notre appréciation des répressions staliniennes des années 30. Bien entendu, il y eut dans ces répressions des déviations, des dysfonctionnements, des abus, de nombreux innocents ont souffert et péri, et toutes sortes de canailles en ont profité pour s’engraisser. Mais il faut en trouver les principes et les causes dans la réalité elle-même. L’édification d’un nouveau système social se poursuivait dans la lutte entre diverses factions. Cette lutte divisait les gens qui se rangeaient dans des camps opposés. Les adversaires de la politique stalinienne par la logique même de cette lutte étaient rejetés dans le camp des ennemis, ce qui les engageait sur la voie de la trahison.
Mais les répressions staliniennes, en empêchant l’activité des traîtres actuels et potentiels, créaient les prémisses pour les traîtres futurs. D’une manière générale, toute l’activité du pouvoir soviétique pour la création et la consolidation d’un nouveau système social façonnait en même temps les futurs traîtres de ce système. Et, qui plus est, en grande quantité. N’oubliez pas que les traîtres soviétiques du plus haut niveau (Gorbatchev, Iakovlev, Eltsine et beaucoup d’autres), étaient passés d’abord par l’école de trahison des Komsomols et du Parti de la période stalinienne.
Au début de la guerre, dans les années 1941-45, des unités militaires encore opérationnelles et même des armées entières se rendaient à l’ennemi. Qu’est-ce que cela voulait dire ? Les anticommunistes et les antisoviétiques ont « expliqué » cela par la haine envers le système social soviétique (envers le communisme). Bien entendu, c’était parfois le cas, mais seulement pour une infime partie des gens. J’ai essayé d’expliquer cela par le fait que les soldats n’avaient pas en masse la possibilité de se battre individuellement contre les ennemis. Et c’était vrai en partie. Mais seulement en partie.
J’ai été moi-même le témoin de cas où on pouvait se battre contre les Allemands et où des unités entières se rendaient volontairement et déposaient les armes sans ordres du haut commandement. De sorte que la décision de Staline de constituer des détachements de barrage spéciaux1 à l’arrière dans les unités peu fiables était une mesure de défense absolument juste. Et les soldats soviétiques se remirent au combat avec courage et abnégation, lorsqu’ils furent placés dans la situation où le refus de se battre les exposait à leur perte.
Comment donc expliquer tout cela ? Je pense que la qualité du matériau humain a joué un rôle. Les différents peuples ont tous une tendance différente à la trahison, propre à chacun d’eux. Chez nous, chez les Russes, cette tendance est assez forte. Le larbinisme russe, la servilité, la docilité devant la force, le caméléonisme, etc., inclinaient naturellement à la trahison, lorsque les conditions s’y prêtaient.
Mais l’héroïsme ? ! L’héroïsme des matelots, de la division Panfilov, la défense de Brest ?
L’un n’exclut pas l’autre. Pour un matelot il y avait des milliers de couards, de pillards, de parasites. Nous avons gagné la guerre. Mais le principal facteur de la victoire, selon moi, a été l’ordre social soviétique et la direction stalinienne. Grâce à eux, ce même matériau humain est devenu le facteur le plus important de la victoire.
La direction stalinienne est restée fidèle au pays et aux idéaux du communisme. Elle a déclaré la guerre la plus impitoyable à toutes les formes de trahison. Pensez seulement à ce qui se serait passé si la direction stalinienne avaittremblé et avait pris le chemin de la trahison ? il est évident que nous aurions été anéantis dès 1941.
Cet exemple montre éloquemment que pour expliquer scientifiquement des phénomènes sociaux aussi grandioses que la trahison, envisagée sous cet angle, il est indispensable de prendre en considération l’accumulation des facteurs dans leur interaction et non ces facteurs en eux-mêmes, pris séparément et sous un seul point de vue. La tendance des citoyens soviétiques à la trahison a été remarquée par les organisateurs de la « guerre froide » dès le début de celle-ci (en 1946). Mais ils décidèrent alors (et avec raison) que l’on ne pouvait vaincre les Russes dans une « guerre chaude ».
Et ils misèrent sur la trahison en tant que principal facteur de la guerre « froide », quand les conditions favorables firent réunies pour cela, je pense, au début des années 80.
1 Allusion aux unité spéciales qui étaient chargées d’arrêter et d’exécuter les déserteurs. Staline avaitdonné l’ordre de considérer tout soldat soviétique fait prisonnier comme un déserteur et donc passible de la peine de mort. (N.D.T.)
LE KHROUCHTCHÉVISME
L’époque stalinienne s’est achevée par la déstalinisation khrouchtchévienne. J’aborderai ici seulement l’un de ses aspects lié à notre thème, et auquel personne n’a fait attention : des millions de Staliniens, ayant à leur tête Khrouchtchev lui-même (et il fut un laquais de Staline !) ont trahi instantanément leur chef Staline et se sont transformés en antistaliniens actifs. Je ne me souviens pas d’un seul cas, dans ces années-là, où quelqu’un aurait exprimé en public sa fidélité à Staline et au stalinisme. Toute la déstalinisation s’est passée entièrement comme une trahison de masse, dont l’initiative avait été prise au sommet du pouvoir avec l’accord et la participation de presque toute la population soviétique active. Elle a été en quelque sorte la répétition de cette trahison générale et fatale qui, trente ans plus tard, s’accomplira sur l’initiative du pouvoir gorbatchévien et eltsinien.
La trahison de Khrouchtchev n’a touché que quelques aspects de la société soviétique, laissant sans changement sa structure sociale. C’est pourquoi elle n’a pas été fatale. De plus on a arrêté Khrouchtchev dans son élan et on l’a écarté du pouvoir. Mais son action avait révélé la vulnérabilité de l’état idéologique et moral de la société soviétique et la puissance dévastatrice de son système de pouvoir quand il tombait dans les mains d’idiots et d’aventuriers.
L’épidémie de trahison à l’égard du stalinisme s’est propagée avec une rapidité fulgurante depuis le sommet du pouvoir à tous les niveaux de l’appareil de direction pour se répandre dans les masses. Les masses de la population ont montré une docilité particulière envers le pouvoir quand il a diminué ses exigences envers elles, alors que ces exigences étaient indispensables pour sauvegarder leur organisation sociale, c’est-à-dire lorsque le pouvoir a décidé de diminuer la tension de la lutte historique pour le communisme. Et tout cela a été remarqué par les organisateurs occidentaux de la « guerre froide » et a été pris en compte.
LES ANNÉES BREJNEV
Dans les années Brejnev l’épidémie de trahison déclenchée par Khrouchtchev a été arrêtée et étouffée. Mais les virus de cette maladie n’étaient pas tués pour autant. Ils se multiplièrent rapidement et se mirent à contaminer l’organisme social soviétique par une multitude d’autres canaux. Les principaux de ces canaux ont été la fronde de l’intelligentsia libérale, le mouvement des dissidents, « le samizdat », le « tamizdat » et la vague d’émigration.
Il faut toujours se rappeler que notre pays avait un ennemi puissant, le monde occidental, et que la « guerre froide » suivait son cours. Nos traîtres de l’intérieur étaient formés par cet ennemi, ils étaient soutenus et achetés par lui. Ils prenaient leurs repères chez cet ennemi. S’il n’avait pas existé, ou s’il avait été plus faible ou moins actif, une telle épidémie de trahison n’aurait pas eu lieu. On aurait su l’empêcher.
Les services occidentaux, impliqués dans la guerre froide, ont sciemment misé sur la trahison. Ils employaient un personnel hautement qualifié et bien informé. Ils étaient au courant des trahisons des années staliniennes. Ils étaient au courant de la capitulation des millions de soldats soviétiques au début de la guerre de 1941-45. Ils étaient au courant de la déstalinisation précisément du point de vue de la trahison de masse. Les services occidentaux se donnèrent pour objectif de créer une « cinquième colonne » en Union Soviétique.
Ils avaient mis au point toute une technologie pour ce travail de sape. L’un des procédés de leur travail était, par exemple, le choix de personnalités, que l’on distinguait, en particulier, dans la sphère de la science, de la culture et de l’idéologie. On réservait à ces personnalités un traitement de faveur pour les mettre en valeur et on les opposait à la masse de leurs collègues et de leurs camarades de travail.
On faisait leur éloge, on les exaltait dans les moyens d’information occidentaux de masse et on dénigrait les autres, que l’on tournait en dérision. On publiait en Occident les oeuvres de ces personnalités privilégiées, on leur organisait des expositions, on les invitait, on leur versait beaucoup d’argent.
En vertu de la logique des relations mutuelles internes les premiers se transformèrent en traîtres volontaires ou involontaires, en inspirant aux autres des sentiments d’envie et l’esprit de trahison. Je pense que le désir de ravir aux dissidents et aux critiques du régime la gloire mondiale joua un rôle important dans la transformation de Gorbatchev en traître historique.
En Occident, on fit de la publicité aux dissidents dans les campagnes de propagande antisoviétiques organisées pour les défendre. Ils reçurent aussi des moyens matériels. On exerça même une pression économique et politique sur le pouvoir soviétique. On prépara àl’avance pour les émigrants des lieux de travail, on leur donna de bonnes aumônes. On favorisa le nationalisme. On créa des organisations nationalistes et des centres spéciaux pour encourager le nationalisme. On cajola les chefs des mouvements dissidents et nationalistes. En un mot on fit un travail patient, sur de longues années, pour injecter à la société soviétique les virus de l’antisoviétisme et de l’anticommunisme.
L’APOGÉE DE LA TRAHISON
Toute l’évolution de la trahison dont nous avons parlé s’est concentrée dans la trahison gorbatchevo-eltsinienne. L’élément nouveau qui s’y est greffé a été le fait que la trahison s’est accomplie comme l’aboutissement d’une opération de destruction interne du pays entreprise par l’Occident et destinée à terminer la « guerre froide ». Gorbatchev, en tant que chef du parti et de l’Etat, a donné le signal de la trahison et, comme une avalanche, elle a submergé le pays.
Qui donc a la responsabilité de ce qui s’est passé ? Cette responsabilité incombe, de toute évidence, au pouvoir suprême dirigé par Gorbatchev. Quels sont les critères d’une telle appréciation ? Afin d’accuser de traîtrise le pouvoir suprême du pays ou de réfuter une telle accusation, il convient d’abord de prendre en considération le devoir de ce pouvoir envers la population qu’il avait sous ses ordres. Ce devoir consiste dans le maintien et le renforcement de la structure sociale existante, la protection de l’unité territoriale du pays, la défense et le renforcement de la souveraineté du pays sous tous les aspects de son organisation sociale (le pouvoir, le droit, l’économie, l’idéologie, la culture), la sécurité personnelle des citoyens, la sauvegarde du système d’éducation et d’instruction publique, des droits sociaux et civiques, bref, de tout ce qui avait été acquis pendant les années soviétiques et qui était devenu le mode de vie habituel de la population. Le pouvoir savait cela. La population était persuadée que le pouvoir allait remplir ses obligations et elle faisait confiance au pouvoir.
Le pouvoir a-t-il rempli ou non ses obligations ? Et s’il ne les a pas remplies — pourquoi ?
Deuxièmement il faut établir si le pouvoir soviétique a agi de façon autonome ou s’il a été manipulé de l’extérieur, si son attitude a été programmée ou non par quelqu’un d’extérieur au pays, si le pouvoir a agi ou non dans les intérêts de cette force extérieure.
La réalité de l’histoire soviétique après 1985 est telle que le fait de juger le comportement du pouvoir soviétique comme une trahison à l’égard de la population dont il avait la charge ne peut susciter aucun doute chez l’observateur objectif. Ce jugement n’a pas été prononcé par une autorité quelconque, parce que cette autorité n’existe pas et n’a jamais existé. Les forces extérieures qui ont manipulé le pouvoir soviétique ont encouragé intentionnellement la trahison, en la représentant mensongèrement dans leur propagande sous la forme du bien et, à l’intérieur du pays, il ne s’est présenté aucune force capable de juger le pouvoir pour cette trahison et de prendre envers ce pouvoir les mesures qu’il est d’usage d’adopter envers les traîtres.
La trahison est restée inaperçue et impunie, parce que ses initiateurs et ses chefs (les organisateurs) ont impliqué dans ce processus des millions de citoyens soviétiques « en noyant » leur propre trahison dans la trahison de masse et en se lavant ainsi de leur propre responsabilité.
La population, ou bien est devenue la complice et l’instrument de la trahison, ou bien est restée passive (indifférente) à son égard. D’une manière générale, la majorité n’a pas compris ce qui était arrivé. Et quand elle a commencé à comprendre quelque chose, la trahison était déjà accomplie. Une circonstance qui a joué un rôle dans tout cela est le fait que le peuple soviétique pendant soixante-dix ans a supporté le poids très lourd d’une mission historique. Il était las de cette mission. Il perçut le renversement contre-révolutionnaire comme une libération de ce poids historique et il a soutenu le renversement ou, en tout cas, il n’y a pas fait obstacle, sans réfléchir et sans envisager les conséquences qui résulteraient de cette libération. Il ne venait alors à l’esprit de personne que le peuple soviétique, en rejetant le poids de sa mission historique, capitulait devant l’ennemi sans combattre, qu’il commettait une trahison envers luimême.
Il va de soi que dans le comportement de la population le régime social de notre pays a joué un rôle. Le système du pouvoir était organisé de telle sorte que les masses de la population étaient totalement privées d’initiative sociale et politique. Cette initiative était entièrement le monopole du pouvoir. Et dans le cadre du pouvoir lui-même elle était concentrée au sommet et ne se répercutait que dans une faible mesure aux différents niveaux de la hiérarchie. On avait inculqué à la population une confiance absolue dans le pouvoir. Et à l’intérieur du pouvoir cette confiance s’était focalisée au sommet. Il ne venait pas à l’esprit des gens que le sommet du pouvoir pouvait s’engager sur la voie de la trahison. En sorte que lorsque le processus de la trahison a commencé, la population l’a interprété comme une simple initiative du pouvoir et que l’aspect de trahison est passé inaperçu.
L’idéologie a aussi apporté son tribut à la préparation de la trahison. Comme on sait, l’un des principes de l’idéologie soviétique est l’internationalisme.
D’une part, ce principe s’est confondu avec le cosmopolitisme pour une certaine partie de la population, essentiellement pour la partie cultivée, aisée et non russe. Les tentatives de Staline de lutter contre le cosmopolitisme s’étaient soldées par un échec.
D’autre part, l’internationalisme favorisait le fait que la plupart des citoyens d’origine russe se trouvaient en Union soviétique dans la situation la plus misérable. La politique nationale du pouvoir s’est avérée antirusse, elle s’est faite dans une large mesure au détriment des Russes. Cela a conduit à l’effacement ou, tout au moins, a l’amenuisement de la conscience nationale des Russes, à la dénationalisation de la Russie. Et cela a entraîné à son tour l’indifférence du peuple russe envers la trahison des dissidents, des émigrants, des dirigeants politiques, des personnalités de la vie culturelle (non russes pour la plupart) et des autres catégories de citoyens qui avaient une orientation cosmopolite.
Est-ce que la trahison a joué un rôle décisif dans la faillite du système social soviétique dans le pays et du pays tout entier ? Si on entend par le mot « décisif » que si la trahison n’avait pas eu lieu, le régime social de l’Union soviétique et l’Union soviétique elle-même auraient pu être sauvés et que le pays aurait évité la catastrophe, on peut probablement répondre par l’affirmative à la question posée. La probabilité d’une pareille issue de la guerre froide s’est renforcée par le fait que, dans la dernière étape de cette guerre, la stratégie occidentale a misé presque à cent pour cent sur cette trahison. La contre-révolution soviétique (russe) a pris justement la forme historique concrète de la trahison, une trahison imposée par les ennemis du dehors, organisée par l’élite idéologique dirigeante du pays, soutenue par la partie socialement active de la population et par la masse passive du reste de la population qui a capitulé sans combattre.
La trahison gorbatchevo-eltsinienne est la plus grande trahison de l’histoire de l’humanité par ses principaux paramètres, par l’importance de ses participants, par son degré de calcul et de préméditation, par son niveau social, par ses conséquences pour nombre de pays et de peuples, par son rôle dans l’évolution de l’humanité entière. De sorte que si on nous a volé, à nous les Russes, le droit d’être les premiers découvreurs d’une voie nouvelle, la voie communiste, de l’évolution sociale de l’humanité, on devrait reconnaître au moins que nous sommes les champions dans la sphère de la trahison. Mais je crains que, sous ce rapport, on nous rejette au rang de marionnettes utilisées dans les opérations globales des maîtres du monde occidental (de la suprasociété globale) et que l’on classe les chefs de notre trahison sans précédent dans l’histoire – Gorbatchev et Eltsine – parmi les crétins intellectuels et les ordures morales, car c’est seulement ce qu’ils méritent.
L’horreur de notre tragédie russe est redoublée par le fait qu’elle n’a rien eu d’héroïque, d’élevé ni de sacrificiel, mais qu’elle a pris une forme vile et humiliante et qu’elle nous a plongés dans un abîme de corruption, de couardise et de bassesse. Nous sortons de l’arène historique pour entrer dans le néant sans pouvoir nous prévaloir d’un combat ardent pour défendre la vie et la dignité d’un grand peuple, comme le voulait la tragédie antique, mais en baisant les pieds et les mains d’un ennemi insensible qui nous piétine et nous enfonce dans notre flagornerie abjecte en nous jetant de maigres aumônes. Notre tragédie est aussi sans précédent par son ignominie